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Fidèle greffier, Alain Peyrefitte restitue un Général au langage cru, drôle et mordant. Libéré de sa légende.

20/10/1994

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De Gaulle bénissant les plus sulfureuses des retrouvailles? Cette scène étonnante se déroule en Champagne-Ardenne, où, en avril 1963, le président de la République accomplissait l’une de ses visites des provinces françaises. La veille, à Charleville, on lui avait offert un buste de Rimbaud, gloire littéraire du département. A l’étape de Rethel, c’est celui de Verlaine, originaire de la région, qui vient compléter le lot des cadeaux symboliques. Le Général remercie en évoquant le destin des deux poètes maudits: « Je les mettrai sur la même cheminée. Ils seront enfin unis. » Et d’ajouter, mais sotto voce et en pouffant: « Il y a un Bon Dieu pour les pédérastes! »


Témoin officiel et, surtout, bénéficiaire exclusif de la boutade, Alain Peyrefitte, alors jeune ministre de l’Information, ne dit pas, aujourd’hui, l’effet que fit sur l’assistance la singulière promesse présidentielle. L’aura-t-on, d’ailleurs, entendue ou comprise? A l’époque, le déploiement du rituel gaulliste se suffisait à lui-même pour conquérir des auditoires pétrifiés de pieux respect ou éperdus d’adulation. Peu importaient les mots, et de Gaulle, qu’on venait seulement voir, pouvait, à l’occasion, laisser filer quelque trait cru, quelque expression triviale. A moins qu’il ne les eût soigneusement prémédités.
Dans un essai brillant dialogué au pas de charge (« Le Style du Général », Julliard), Jean-François Revel s’était, en 1959, penché sur la rhétorique gaullienne, relevant, dans sa construction et son vocabulaire, un penchant gourmand pour l’assemblage du précieux et du prosaïque propre à mieux forcer la conviction populaire.


Tout en rapportant ce langage, Alain Peyrefitte, lui, se garde de l’analyser. Son « C’était de Gaulle » est un curieux mélange de révélations et de comptes rendus, où la patte du greffier s’efface derrière la voix du maître. Chaque audience, chaque Conseil des ministres achevé, Peyrefitte, mettant à profit une mémoire agile, s’empressait de consigner tout sur son petit carnet. Le Général le savait-il? On peut en douter en découvrant sa colère lorsqu’il apprit qu’une femme de chambre de l’Elysée avait osé photographier les lits présidentiels! Mais la classe politique, elle, n’ignorait rien de la manie de Peyrefitte. Et c’est Georges Pompidou qui, après la mort de l’ermite de Colombey, recommanda à son jeune collègue d’écrire ou, plutôt, de transcrire ce qu’il avait entendu.


L’humeur atrabilaire que l’on prête, non sans raison, au duc de Saint-Simon n’altère en rien l’authenticité de ses récits sur la cour de Versailles. Alain Peyrefitte mérite de bénéficier du même préjugé favorable, et nul, parmi les personnages de l’époque, les familiers ou la parentèle du Général, ne viendra contester ce qu’il rapporte et qui représente, parfois, l’écho vivant d’une voix d’outre-tombe. C’est fidèle. Trop? Peut-être: le digne académicien n’aurait-il pas édulcoré certains propos? Quand on sait ce que le verbe gaullien se plaisait à emprunter au franc-parler militaire, surtout en privé, on ne peut que sourire lorsque de Gaulle s’en prend ainsi au Sénat: « Il m’a fait caca dans la main! » Mais après tout, il est bien possible que le grand homme, sans déguiser sa pensée (que l’on imagine aisément), ait réussi à l’exprimer en évitant de choquer quelque oreille prude…


Bien souvent, les ouvrages sur le Général, surtout signés par ses proches, reflètent un gaullisme béat. Seuls les « Mémoires » de Bernard Tricot (Quai Voltaire) font résonner, dans ce concert, une notable différence. Le livre d’Alain Peyrefitte surprend: l’homme y révèle une révérence militante excessive qui tendrait à le ranger parmi les gaullistes pré-historiques, puisqu’il prétend avoir entendu (à 15 ans!) non l’appel du 18 juin, mais celui de mai 1940, lancé par celui qui n’était encore que le colonel de Gaulle, lors d’une interview radiodiffusée. Et, en même temps, il ne tait rien des travers, des ruses et des ingratitudes de son héros. Elles jalonnent le règne. Après des années de service, un proche collaborateur (Pierre Lefranc, sans doute) hérite enfin d’une casquette de préfet. De Gaulle trouve que « sous-préfet, c’eût été mieux ».


Avec une naïveté désarmante, Peyrefitte met en scène ses propres mésaventures. En 1961, il s’emballe pour une idée de partage de l’Algérie qui permettrait de regrouper les pieds-noirs et d’abandonner le reste du pays au FLN. De Gaulle l’encourage à soutenir publiquement ce projet, dans lequel le brave député de Seine-et-Marne se lance étourdiment, jusqu’à ce que l’Elysée ordonne sèchement de tout enterrer. Pourquoi? Ce n’était pas, même à l’époque, difficile à comprendre: la menace de prendre le « plan Peyrefitte » au sérieux aura suffi à rendre plus malléables les négociateurs algériens.


Mais cette courte vue qu’il avoue, l’auteur la partage avec d’autres. Le Général lui-même qui, de 1961 à 1963, s’obstine à refuser d’admettre que tous les pieds-noirs choisiront le repli sur la métropole, alors qu’il envisage de n’en accueillir que quelques milliers. Qui se satisfait des chiffres officiels évaluant à 5 000 personnes l’exode des harkis. La lucidité, pourtant, ne lui fait pas défaut sur les soubresauts de la jeune Algérie indépendante.
Lucides, aussi, des jugements qui prennent une résonance prophétique: « La Russie boira le communisme comme le buvard boit l’encre » ou encore: « Comment voulez-vous que les Croates, les Slovènes, les Serbes, les Bosniaques ne se tirent pas la bourre? (sic) Tous se haïssent. »


Contemporaine, et tristement, cette sorte d’agressive rancoeur vouée par le Général à la presse et que, semble-t-il, à leur tour, ses successeurs (et, parmi eux, ses anciens adversaires) veulent tous imiter, tant la critique les révulse. Les chapelets d’injures déversés contre les journaux et ceux qui les écrivent ne grandissent pas la statue du Général. « Nobody’s perfect… »


Pascal recommande d’apporter foi au seuls témoins qui ont risqué de se faire égorger. Avoir attendu près d’un quart de siècle pour déposer met Alain Peyrefitte à l’abri des dangers. Et même de la polémique: en s’emparant du gaullisme, l’Histoire mue les passions en nostalgie.
C’était de Gaulle. Tome I: La France redevient la France, par Alain Peyrefitte. De Fallois/Fayard, 600 p., 150 F.

Ainsi parlait-il…

De la France:

– « La France représente quelque chose d’essentiel. Elle avait exagérément décliné depuis un siècle. Elle doit reprendre sa place. »
– « En face de la grandeur de la France, je rencontre souvent la petitesse des Français. Ils mijotent dans leurs petites querelles et font cuire leur petite soupe. »
– « Vos journalistes ont en commun avec la bourgeoisie française d’avoir perdu tout sentiment de fierté nationale. […] Bien entendu, le populo ne partage pas du tout ce sentiment. Le populo a des réflexes sains. »

Des institutions

– « Je n’aime pas la république pour la république, mais, puisque les Français y adhèrent, il faut bien y adhérer. Ils n’imaginent pas de vivre autrement qu’en république. »
– « Le critère des critères, c’est l’intérêt du pays. […] L’Etat en est le garant. Si la légalité est défaillante, la légitimité doit s’y substituer. »

De la politique

– « Ce n’est pas moi qui ai souhaité que Giscard fasse un parti! C’est Pompidou qui l’a voulu! Je n’avais pas besoin, vous pensez bien, pour prendre mes décisions en toute indépendance, qu’il y ait deux partis dans la majorité! »
– « La seule façon de faire marcher les parlementaires, c’est de leur dire:  »Messieurs, il faut parler un seul langage! Unité!  » »

De la société

– « Le capitalisme n’est pas acceptable dans ses conséquences sociales. Il écrase les plus humbles. Il transforme l’homme en un loup pour l’homme. Le collectivisme n’est pas davantage acceptable: il ôte aux gens le goût de se battre; il en fait des moutons. Il faut trouver une troisième voie. »

De la télévision

– « Pourquoi toujours succomber à la tentation du luxe et du clinquant? […] Pourquoi toujours privilégier ce milieu frelaté, ce monde de l’argent facile, des filles faciles? »

De l’Europe

– « Notre plus grand ennemi héréditaire, ce n’était pas l’Allemagne, c’était l’Angleterre. […] Elle fait systématiquement bloc avec l’Amérique. Elle veut nous empêcher de mener à bien le Marché commun. Il est vrai qu’elle a été notre alliée pendant les deux guerres, mais elle n’est pas portée naturellement à nous vouloir du bien. Pour l’Allemagne, au contraire, il est clair que nos intérêts se rencontrent et se rencontreront de plus en plus. Elle a besoin de nous, autant que nous avons besoin d’elle. »
– « Bien sûr, l’intérêt égoïste de la France serait que l’Allemagne reste divisée le plus longtemps possible. Mais ça ne sera pas éternel. […] L’Allemagne se réunira. »
– « L’Angleterre n’entrera dans la Communauté européenne que lorsqu’elle aura répudié à la fois son rêve impérial et sa symbiose avec les Américains. Autrement dit, quand elle se sera convertie à l’Europe. »
– « La Communauté économique européenne n’est pas un but en soi. Elle doit se transformer en communauté politique! […] C’est parce que les Anglais n’étaient pas prêts à entrer dans une communauté politique que, finalement, il ne fallait pas les faire entrer dans la Communauté économique. »

De l’Otan

– « La force de dissuasion n’est pas faite seulement pour dissuader un agresseur. Elle est faite aussi bien pour dissuader un protecteur abusif. C’est pour ça qu’elle doit être tous azimuts. »
– « La justification essentielle des Etats, et par conséquent des gouvernements, c’est de défendre le pays dont ils ont la charge. Il ne faut donc à aucun prix qu’ils s’en dessaisissent. Nous sommes contre l’intégration [dans l’Otan], parce que c’est le découronnement, le dessaisissement de l’Etat. »

Des Etats-Unis

– « Ce que veulent les Américains, c’est que la force de frappe soit placée sous leur commandement exclusif. Et c’est justement cela que nous ne pouvons pas leur accorder. Car ce serait dire que nous acceptons la vassalisation de la France. »

… et des cérémonies religieuses

– « J’aime bien ces messes [une célébration officielle à la cathédrale de Limoges], c’est le seul endroit où je n’aie pas à répondre au discours qu’on m’adresse. »

http://www.lexpress.fr/informations/de-gaulle-pris-au-mot_599973.html


Autres Citations:

« La presse soi-disant française ».

Le destin d’une nation…

Les socialistes

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